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L'Ecole de Jules
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18 septembre 2008

Amélie Poulain, la verte légèreté

D’emblée, Jeunet annonce la couleur : ce sera le vert, un mélange de nausée, de chlorophylle et d’espoir, en contraste avec de rares scènes dominées par des teintes plus chaudes, comme le rouge ou le jaune. L’affiche est d’ailleurs elle-même un résumé de ce parti pris esthétique, car Jeunet fait incontestablement parti de ces réalisateurs au regard esthétisant, qui appose au monde contemporain ses propres couleurs et se constitue son propre tableau. Certains critiques mal inspirés et en mal de noirceur cinématographique n’y ont reconnu là qu’une image d’Epinal et ont évoqué l’oeuvre avec dédain. Il est vrai qu’en entreprenant de repeindre Montmartre avec les nuances de sa palette personnelle, Jeunet ne pouvait pas se faire que des amis…Sans parler d’Audrey Tautou, qui incarne une Amélie urticante de fraîcheur et de bonté. Que voulez-vous ? Dès lors qu’on ne met pas en scène des grands éplorés ou des pantins comiques, certains ont du mal à s’y retrouver. Naïve, Amélie Poulain ? Moins que ceux qui la taxent de naïveté, en tout cas. Et que la rondeur enfantine de ses yeux noirs ne trompe personne : c’est un puits d’imagination, un dédale enfoui de sentiments bouillonnants que la demoiselle est loin de révéler aisément .. . Ainsi, on fonctionne presque exclusivement sur le mode de l’allusion, voire de l’image subliminale dont le nain, destiné à inciter le père au voyage, est l’emblème le plus évident. Amélie nous est immédiatement présentée comme un personnage qui, n’ayant pas vécu au contact des autres enfants, ne s’est pas approprié les codes de communication traditionnels, d’où le recours constant à l’image, au symbole et aux stratagèmes les plus loufoques pour entrer en contact avec autrui. Ainsi, faute de pouvoir dire ses quatre vérités  à l’épicier, on piège son appartement avec un soin de potache malicieux. Au lieu d’évoquer ses états d’âme, on disserte longuement sur « la fille au verre d’eau » du tableau de Renoir. Amélie passe son temps à se cacher : elle se dissimule derrière le téléphone, les cassettes vidéo, les petits mots griffonnés sur un bout de papier… et la seule fois où elle s’exprime sans masque et laisse libre cours à sa verve poétique, c’est auprès d’un aveugle qu’elle guide jusqu’au métro,  comme si elle n’acceptait de se livrer que par fragments. Sa quête amoureuse devient ainsi un véritable rébus, une énigme, un casse-tête. A l’immédiateté de la rencontre et au foudroiement amoureux Amélie préfère le long apprivoisement, l’attente, l’espoir, le manque, l’imagination. Et surtout pas les mots. Il serait tout de même dommage de gâcher un tel effort de mise en scène poétique par un vulgaire babillage amoureux… Non que l’œuvre ne fasse pas la part belle aux mots, bien au contraire : c’est un film admirablement bien écrit, qui capte la poésie où elle se trouve et ne réduit pas la vie quotidienne à une triste banalité. Tout ce qui est banal devient drôle, et le reste, c’est du bonheur, tout simplement. En fin de compte, Amélie Poulain, c’est sans doute, au-delà de la pesanteur quotidienne de ces lieux par trop communs –un tabac, une gare, un photomaton, un couloir de métro- une brèche ouverte vers ce qui nous manque le plus : la légèreté.

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