Et si j'avais créé les hommes
Et si j'avais créé les hommes à ma fantaisie, alors nous pourrions peut-être causer... Mais de façon amusante. Ainsi, il serait hors de question que mes ouailles s'affublent de prénoms horribles sous prétexte qu'ils aspirent à la sainteté et à la vie éternelle. D'ailleurs, ils n'aspireraient ni à la sainteté ni à la vie éternelle, mais simplement à la connaissance de ce monde et à la joie de vivre. Et puis, ils ne s'appelleraient pas Frère Paul-Baptiste ni Sœur Confite des Anges mais plutôt l'abbé Cane, l'abbé Quille, l'abbé Casse. Et là, je n'aurais rien contre une rencontre hebdomadaire, mais certainement pas dans une église, un temple, une mosquée ou je ne sais quel capharnaüm à bondieuseries. Non. Un petit troquet sympa, un glacier Häagen-Dasz ou quelque chose dans le genre. On se réunirait – bon, mettons le dimanche, ou en tout cas le jour où il y a le moins de choses intéressantes à la télé ou au cinéma- et on causerait. De quoi ? Bah, je ne sais pas, moi... De tout, de l'univers, du monde, des choses terrestres, des choses cosmiques, de la prochaine pluie d'astéroïdes sur Vénus – que sais-je ? Plutôt qu'ils aillent s'enfermer dans un laboratoire toute une vie à essayer de comprendre le monde, ou pire, à s'agenouiller au fond de leur monastère en attente de la grâce divine, je les ferais réfléchir autrement. Par exemple, avec des jeux ou des rébus, je leur divulguerais petit à petit ma connaissance de la Création – je suis bien placée pour savoir, c'est moi la Créatrice, tout de même !
Oui, je leur parlerais, moi, aux hommes. Mais pas avec la voix qui causa jadis à Moïse, celle d'un vieux birbe qui aurait fumé deux paquets de clopes par jour depuis l'âge de huit ans... Non. Moi, je les appellerais d'une voix énigmatique mais chaleureuse et je les inviterais à une petite réflexion hebdomadaire. On entendrait ainsi, à la terrasse des cafés, le dimanche matin :
« Allez, on fait un pendu. Origine de l'univers en sept lettres, ça commence par un B. Oui, l'abbé Vue ? Un G ? Il y en a un en troisième position. Ensuite ? Qui a dit le Big Bang ? L'abbé Tise ? Perdu ! C'était le bégonia ! Et oui, tout a commencé avec le bégonia... Ça vous la coupe, hein ? Bon, la prochaine fois, on fera une charade. Allez, à dimanche prochain ! »
Ce serait quand même plus sympa qu'un brainstorming à l'INSERM ou au CNRS, non ? Et ça permettrait aux littéraires de ne pas se sentir exclus, pour une fois...